Nouvelles d'Onézif du 1 mai 2003

DES ILES VIERGES AUX BERMUDES (St George's Harbour)

 

Lundi  21 avril
Nous quittons le mouillage de Pond Bay (Virgin Gorda) puis nous tirons quelques bords pour repérer les réglages du vieux génois gréé en Martinique. Nous n'avions pas pris le temps avant mais il faut se préparer avec sérieux à notre prochaine traversée.

Nous décidons de partir demain si la météo est favorable. Nous sommes mon frère et moi impatient d'entamer le voyage de retour vers la France.

Mardi 22 avril
Nous nous levons de bonne heure. Ce matin la météo de 7h40 (11h40 GMT) sur RFI est difficilement audible.

J'arrive cependant à saisir que pour la zone Nord Antilles, celle qui nous intéresse dans l'immédiat, le vent sera de S/SE force 2 à 4, mer agitée, grains épars parfois orageux avec fortes rafales. Le ciel est très couvert et il pleut par moments. Après la zone Nord Antilles couverte par la météo de RFI nous serons sans météo jusqu'aux Bermudes. De toute façon une fois parti, il faut bien continuer et faire faces aux conditions du moment.

Quelques achats de dernière minute (pain, légumes et fruits) sont rapidement effectués. Nous téléphonons à nos épouses pour les informer de notre départ cet après-midi. Josiane m'apprend qu'il y a du très mauvais temps vers les Bermudes. Elle s'inquiète et je la rassure. Nous avons plusieurs jours devant nous avant d'arriver près de cette zone.

Vers midi comme nous prenons un planteur avant de regagner notre bord CNN, à la télé, mentionne sur un message défilant qu'une dépression tropicale est proche des Bermudes. Nous en sommes loin, environ 800 milles.

Planteur

15 heures, après avoir revu la situation météo et notre plan de route mon frère remonte rapidement notre et nous partons.

Onézif avance lentement au moteur parmi les bateaux au mouillage devant l'entrée de Virgin Gorda Yacht Harbour. Nous hissons les voiles, le loch affiche 4,5 noeuds bien que le vent soit modeste. Cap au 359, nous visons l'entrée du chenal conduisant à St George's Harbour au Nord-Est des Bermudes.
17 heures, au loin une ligne d'arbres se détache, comme plantée dans la mer. C'est l'île basse d'Anegada. Nous la laisserons sur tribord en donnant une bonne marge car elle est ceinturée par une immense barrière de récifs.

Au repas du soir, après le petit apéritif traditionnel nous avons nouilles, chester, banane, eau. Je me couche rapidement car, comme à l'aller vers les Antilles, mon frère fera la première partie de la nuit, je ferai le reste jusqu'au petit déjeuner.

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Virgin Gorda

Anegada 

Mercredi 23 avril
Réveil 3h15, j'ai bien dormi, peut-être parce que la mer était belle avec une légère gîte d'Onézif. 5h, le jour commence à se lever. Vers la demie un petit oiseau se perche dans le filet de filière. Il paraît fatigué et ferme les yeux par intermittence. Je le laisse tranquille puis lui propose de l'eau et des miettes de pain qu'il ignore.

Le vent est irrégulier il faut sans cesse régler les voiles. Le voilier avance entre 3 et 4,5 noeuds suivant le moment.

7h, l'oiseau est toujours là. 7h40 le bulletin de RFI annonce dans la situation générale une dépression sub-tropicale de 1000 hpa centrée par 3,2N et 53,9W, elle est baptisée Anna. Elle se déplace vers l'Est à 16 noeuds en se comblant légèrement et est prévue à 1007 hpa par 31N et 49W le 24 avril, à 0 heure. La perturbation associée amène de très fortes rafales et des grains orageux. L'Est de la zone Est Bermudes et l'Ouest de Colorado sont particulièrement touchés. Pour les heures à venir Onézif ne risque rien. Il faut continuer à suivre la situation avec précision. Nous profitons de l'occasion pour réviser nos connaissances sur les cyclones et autres tempêtes tropicales.

Avant la fin du bulletin, le moulinet Zzzz... Je laisse la place à mon frère pour continuer de copier le bulletin météo et je monte sur le pont. Derrière un beau poisson fait des grands loopings. Avant d'avoir eu le temps de remonter la traîne de l'hydro générateur il effectue un dernier saut et casse la ligne.
Midi notre compagnon ailé est toujours à bord. Il n'est pas très farouche aussi nous en profitons pour faire une séance de pose près de lui. Il montre de l'appétit et se baigne dans la coupelle remplie d'eau mise à sa disposition.

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Onezif - oiseau fatigué. Quel est son nom ?

notre passager
On dirait un passereau, qui peut nous renseigner ?

17h, Onézif traverse un banc d'objets non identifiés. Nous parlons de pollution et de vidange sauvage par un navire. Un seau au bout d'une corde nous permet, après bien des tentatives, de faire un prélèvement pendant que notre voilier avance. Ce n'est pas une pollution mais des millions de petites méduses brunes d'environ 1,5 cm de diamètre.

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Onezif - méduse marron. Qui nous dira son nom ?

Méduse marron
Qui nous dira son nom ?


Peu avant la nuit notre oiseau, qui ressemble à un moineau, cherche un asile pour la nuit. Un petit équipet du cockpit semble lui convenir. Mon frère le vide des objets dont nous risquons d'avoir besoin cette nuit. Hélas après le dîner, ayant besoin d'une pince, je cherche sans réfléchir dans le petit casier. Un froissement d'ailes me fait sursauter, l'oiseau sort comme un diable de sa boite. Il fonce vers l'arrière d'Onézif et je le perds de vue. Pourvu qu'il revienne.

Jeudi 24 avril
2h45, réveil. Il y a peu ou pas de vent. L'oiseau est introuvable.

La journée est belle. Ayant oublié ma crème solaire je termine le visage bien rouge. Nous avons croisé trois bateaux. La traîne n'a tenté aucun poisson. Mon frère effectue ses premiers relevés avec le sextant de l'ami André, notre « amiral ». Le moineau a disparu.

Au repas du soir : planteur Onézif, riz pseudo cantonnais, chester made in USA, pomme, eau.

Coucher 20h30 pendant que mon frère assure la veille. J'ai le temps de lire trois petites pages avant que le sommeil ne me terrasse.

Vendredi 25 avril
Joyeux anniversaire Marie-Hélène.

Lever à 2h30. Il est 8h30 à Wasquehal, bonjour chérie !

Le vent apparent est de 11 à 12 noeuds, Onézif, calé à 10° de gîte, fait plus de 5,5 noeuds. L'écume du sillage et des vagues d'étrave est constellée de points lumineux. Probablement pas des lucioles !

9h25, je commence à dormir pour récupérer un peu de sommeil en prévision de la nuit à venir. « Dany ! Il y a ton moulinet ! » J'enfile mon bermuda, mon tee-shirt et mes chaussures avant de grimper sur le pont. Onézif file à plus de 6 noeuds. Le moulinet Zzzzz..., de plus belle. Il faut d'abord ralentir en roulant le génois, ensuite rentrer l'hélice de traîne de hydro générateur, enfin s'occuper du poisson. Zzz... Je mouline calmement. Le poisson tire à droite puis à gauche, il saute haut. Enfin nous admirons une magnifique daurade coryphène bleu électrique avec des points bleus plus clairs.

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Onezif - tableau de pêche - dorade coryphène (dessin)

une belle prise, dorade coryphène

Sa nageoire dorsale est déployée, quelle splendeur. Bientôt elle s'agite follement dans le fond du cockpit, le sang éclabousse le revêtement blanc. Mon frère grimpe en haut du banc pour éviter les taches rouges. Vlan, vlan, vlan ! Fait la manivelle, le poisson gigote de plus belle. Vlan, vlan, vlan et vlan ! Il bouge encore. Cette daurade semble ne pas avoir de cerveau. Vlan, vlan. Ouf ! C'est fini. Tout est rouge autour de nous, il faut nettoyer.

Notre prise mesure 93 cm et pèse 4,250 kg. Je prélève les deux magnifiques filets. Une partie est mise à mariner un peu comme on fait à la Guadeloupe pour faire une grillade. Le reste deviendra un bon carpaccio (merci à Alain de Cassiopée pour la recette).

Très belle journée. En plus Onézif avance vite sans donner l'impression de peiner.

Samedi 26 avril
Lever 2h35, il fait nuit noire. Onézif a fait 139 miles au loch hier, 147 au GPS. Le courant nous aide. La mer est peu agitée (une mer est peu agitée si les creux font de 0,5 à 1,25 mètres).

Dans la journée l'anémomètre tombe en panne : « Fault ». Je vérifie l'alimentation électrique, pas de solution de ce côté tout est bon.

17h, Zzzz... Zzzz... une grosse prise en perspective. Après avoir préparé Onézif, pour accueillir le poisson qui saute au loin, je rembobine le fil dévidé : grrrrrrrrrrr.... Le poisson saute régulièrement hors de l'eau. Enfin nous pouvons bien le voir. Il s'agit encore d'une belle daurade coryphène qui pèse 5,500 kg et mesure 1,05m. C'est le record d'Onézif.

Le vent monte, nous prenons le deuxième ris dans la grand-voile et nous roulons encore plus le génois. Le bateau est prêt pour la nuit.
Le carpaccio de dorade est bon. Coucher 20h45, il faut être couché tôt pour assurer le deuxième quart.

Dimanche 27 avril

Une houle de 1,5 mètres pousse Onézif sur la hanche tribord. La vitesse est soutenue. Mon quart commence bien.

5h15, un navire passe devant nous. Tiens, l'anémomètre marche. 5h35, zut ! L'anémo affiche « fault ».

7h, le vent arrive plus par l'arrière. Nous affalons la grand-voile pour ne marcher qu'avec la voile d'avant. Le ciel devient uniformément gris.

Midi, nous dégustons un filet de daurade façon Onézif (voir compte rendu du 11/01/2003) arrosé de Sancerre.

21h, je dors depuis peu mais des bruits de manoeuvre me réveillent. Dehors il tombe « agadiau » (tomber à verse dans le Berry). Les éclairs et le tonnerre sont proches. Mon frère se démène en haut mais ne demande pas d'aide. Pourvu que cet orage cesse avant mon quart. Je me recouche égoïstement.

Lundi 28 avril
Le vent a baissé, la pluie a cessé. Je prends la veille dans de bonnes conditions. Quelques étoiles scintillent au travers des rares trouées de la couche de nuages.

9h, il reste 166 miles pour arriver aux Bermudes. Le soleil est revenu. La mer est bleue, belle !

17h, hier le vent venait du SE. Cette nuit il a viré progressivement au Sud, puis au S-W. Dans la matinée il était W, maintenant c'est du NW faible. Par moment nous voyons des objets flottants de petite taille. On dirait des chaussons aux pommes transparents fichés sur l'eau. La curiosité me poussant nous en repérons un pour le capturer. Le génois est vite roulé, le vent est faible, le moteur nous aide à approcher notre proie. Un coup de seau bien lancé et il est hissé à bord avec son environnement d'eau salée. Il s'agit d'une sorte de méduse de 10 cm de long environ. Elle comporte une partie aérienne ressemblant à un chausson aux pommes. Celle-ci fait sans aucun doute office de voilure. La base présente la forme d'un flotteur patatoïde bleu clair. Sous l'eau une couronne de filaments mauves qui plongent, pour les plus longs, jusqu'à 35 à 45 cm. Il vaut mieux ne pas les toucher avec les doigts car ils déposent, sur ce qu'ils touchent, une substance collante qui peut être dangereuse (note 1).

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Onezif - Physalie, galère portugaise

Physalie, galère portugaise. Danger !

18h40, panne de vent. Le moteur démarre et propulse Onézif à 5 noeuds. Nous avons bien fait de caréner en Guadeloupe. Hélas la nuit tranquille que nous espérions est compromise, même avec nos bouchons d'oreille.

Mardi 29 avril
Au réveil la mer est lisse. La nuit est noire. Je crois que nous avons perdu la lune pour quelques jours. Aux premières lueurs de l'aube, vers 5h, j'installe trois lignes de traîne. J'en profite pour sortir ma fameuse planchette japonaise bien connue sur le quai Gagarine aux Embiez.

Planchette japonaise

12h, le premier voilier de notre traversée est visible à l'horizon sur l'avant tribord. Nous sommes à 34 miles de notre point GPS (waypoint) d'arrivée juste au début du chenal de St George. Nous avons étudié l'arrivée sur le Reed's Nautical Almanach - East cost que mon frère a acheté à Antigua. Il vaut mieux, autour des Bermuda Islands, être certain de sa navigation car l'étendue des zones de récifs est impressionnante.

15h15, les Bermudes sont en vue sur notre avant gauche, une ligne grise au-dessus de l'horizon.

16h40, comme il est conseillé dans le guide nautique nous appelons Bermuda Harbour Radio, en Anglais of course. Nous l'informons de notre identité et de notre heure prévue d'arrivée devant St George. Notre interlocuteur est patient et parle très distinctement. Suit un long interrogatoire sur Onézif et son identité, l'équipage, notre provenance et notre destination, la durée de notre séjour, ses équipements radio, le radeau de survie, la présence d'armes à bord, la présence d'un pistolet lance fusée, le GPS, le téléphone par satellite, si nous avons les cartes et documents de la partie Est des Bermudes, c'est par ce côté que nous arrivons. Ensuite il nous donne des indications pour les caps à suivre jusqu'à Town Cut qui donne accès à l'immense plan d'eau de St George's Harbour. Nous devons le rappeler aux premières bouées du chenal baptisées poétiquement « 1 » pour la rouge et « 2 » pour la verte. Notre correspondant nous apprend qu'ici l'heure légale est en avance d'une heure sur celle du fuseau horaire.

 

De loin nous voyons une forêt de balises. « Pani pwoblem » le GPS nous conduit directement dans l'axe du chenal. Nous virons cap au 264 vrai pour rejoindre les bouées 1 et 2 que nous voyons bien visibles. Puis dans la lancée les autres bouées qu'Onézif devra passer. Sur notre droite une double rangée de bouées marquent le début du passage des Narrows qui permet, en contournant les terres par le Nord, de passer au milieu des récifs et de gagner Hamilton. Nous ne prenons pas cette dernière direction. Entre les deux bouées 1 et 2 nous contactons Bermuda Harbour Radio (BHR) qui nous donne encore quelques indications.

Quelques minutes plus tard Onézif glisse entre deux pointes rocheuses, sur la droite une belle maison rose avec une terrasse qui surplombe l'eau de quelques mètres. L'entrée, Town Cut, n'est pas plus large que celle de Bonifacio, cela n'empêche pas les paquebots d'y passer. 

Le plan d'eau St George's Harbour est très grand. BHR nous indique que la douane se trouve dans un bâtiment jaune juste devant un paquebot blanc Seven Seas Navigator. Nous accostons pour effectuer notre « clearance », elle inclut une taxe de 15 $ US par personne. Après nous gagnons la zone de mouillage toute proche. Un apéritif, une soupe, un cassoulet, du fromage, une pomme et une bouteille de Mercurey marquent la fin de notre première étape du retour.

 

Mercredi 30 avril
La matinée est besogneuse. Mon frère part en exploration et fait des achats de première nécessité. Je reste à bord pour la partie nettoyage : le pont, le carré, le coqueron, etc. Je graisse un peu l'enrouleur de drisse de GV qui semble en voir besoin. Les coulisseaux de notre grand-voile sont aussi nettoyés et légèrement graissés au silicone pour en faciliter la montée et la descente.
Cet après-midi nous commencerons nos achats d'avitaillement.
Demain, jeudi 1er mai, nous ferons un peu de tourisme et le reste de nos achats, hors fruits et légumes.

Nous projetons de quitter les Bermudes pour cingler vers les Açores vendredi 2 mai. L'île de Flores est distante de 1800 miles nautiques, environ 3200 km.

Comment nous pensons effectuer la traversée Bermuda Islands - Açores :
Nous ferons, si possible, une route orthodromique. Quand le vent sera absent nous infléchirons notre route vers le Nord pour augmenter notre chance de le trouver. Néanmoins dans le début de notre parcours, c'est à dire avant d'avoir atteint 40°W, nous ne monterons pas au-dessus de la latitude 38°N à cause des risques de rencontrer des icebergs. Notre point d'arrivée sera l'île de Flores, la plus à l'Ouest de l'archipel. Nous comptons entre 18 et 25 jours de navigation suivant la durée des calmes. Nous emportons 210 litres de fuel pour franchir au mieux les absences prolongées de vent.

Iceberg

(à suivre)

Note 1 : Ayant attrapé un de ces organisme flottant avec un seau nous l'avons photographié. Nous apprendrons par la suite qu'il s'agissait d'une physalie ou galère portugaise. Elle est, dit-on, aussi dangereuse qu'un cobra. Par précaution nous avions enfilé de gros gants pour l'examiner. C'était la prudence même. Retour au texte.

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